Journal Montgeroult n°14 (janvier 2023)

par Jérôme Dorival

Nouveaux CD


Clare Hammond a enregistré 29 études de Montgeroult qui viennent de sortir chez bis records. A commander d’urgence ! On peut acquérir son enregistrement en allant sur le lien suivant :
https://bis.se/performers/hammond-clare/helene-de-montgeroult-etudes-1
Voici la notice que Clare a tenu à rédiger elle-même :
« Née Hélène de Nervo, Hélène de Montgeroult (1764-1836) est issue d’une famille noble de Lyon et a fait preuve d’un talent musical précoce dès son enfance. Vers ses vingt ans, elle était considérée comme l’une des meilleures pianistes et improvisatrices de son temps, mais ses origines aristocratiques lui interdirent de poursuivre une carrière publique. Dans les dernières années de l’Ancien Régime, elle se marie avec le marquis de Montgeroult, et se produit dans les salons privés de l’artiste Madame Vigée-Lebrun, de la marquise de La Tour du Pin et de l’écrivaine Madame de Staël. En 1792, elle participe à une mission diplomatique secrète à Londres avec son mari, et revient en France quelques mois plus tard. En 1793, ils tentent d’atteindre le royaume de Naples en tant que diplomates mais sont capturés par des soldats autrichiens. Son mari est emprisonné, et meurt peu de temps après, tandis qu’Hélène est libérée. Dans une détresse totale, elle réussit à s’assurer le passage vers la France.

A son retour à Paris, Montgeroult travaille pour la Révolution, notamment au sein de l’Institut National de Musique, mais est de nouveau emprisonnée sous la Terreur. Lors de son procès devant le Comité de salut public, elle fut apparemment libérée après avoir improvisé une série de variations sur la Marseillaise qui émurent les juges aux larmes. Acceptée par les autorités, Montgeroult est nommée professeur de piano au Conservatoire de musique de Paris en 1795, première femme à occuper un tel poste. Elle commença alors à publier ses propres compositions, à commencer par les Trois Sonates, op. 1 en 1795. Les études ont été composées entre 1788 et 1812, puis publiées en 1816 dans le cadre du Cours complet pour l’enseignement du pianoforte. A sa mort, elle laisse 9 sonates, 3 fantaisies pour piano, des nocturnes pour voix et piano, 114 études et une multitude de pièces additionnelles.

J’ai été stupéfaite à la découverte de ces études du Cours complet. Non seulement elles sont d’une qualité comparable à la musique de compositeurs comme Felix Mendelssohn et Robert Schumann, mais elles sont stylistiquement si avancées qu’elles remettent en question notre perception des périodes « classique » et « romantique ». Montgeroult n’avait que huit ans de moins que Mozart, mais sa musique est plus proche, par son esprit et sa substance, de celle de la génération romantique, qui fera son apparition des décennies plus tard. Son audace harmonique, la complexité de ses textures, l’importance accordée aux tonalités mineures plutôt que majeures et l’utilisation d’idiomes baroques sont des caractéristiques que nous associons explicitement au romantisme. Une telle prescience est extraordinaire et fait d’elle un véritable précurseur.

A une époque où les œuvres de Johann Sebastian Bach n’étaient guère connues et ne pouvaient être trouvées que difficilement, Montgeroult rendit hommage au Clavier bien tempéré dans certaines de ses études, annonçant ainsi les travaux ultérieurs de Mendelssohn, Brahms et Reger. Son adaptation de la forme-sonate dans l’étude n°74, avec son inversion des premiers et deuxième sujet dans la récapitulation et le choix de la tonalité est plus proche de Schubert que de ses contemporains. Montgeroult fut également l’une des premières à apprécier le potentiel artistique du genre de l’étude. Alors que ses contemporains s’intéressaient principalement à la dextérité mécanique, elle a composé des études qui font preuve d’une véritable profondeur expressive et ainsi ouvert la voie à la prolifération d’études de concert par la génération romantique.

La musique de Chopin, Mendelssohn, Schumann et même Brahms semble devoir beaucoup aux avancées de Montgeroult, et pourtant rien ne nous laisse croire qu’ils ont eu connaissance de son travail. Fanny et Félix Mendelssohn ont tous deux étudié avec une disciple de Montgeroult, la pianiste Marie Bigot, à Paris en 1816, et il semble que Friedrich Wieck ait utilisé les Cours complet dans le cadre de son enseignement. Cela laisse supposer que Clara et Robert Schumann ont pu connaitre cet ouvrage bien qu’ils n’en fassent pas mention. L’Étude n°106 de Montgeroult présente une ressemblance frappante avec les Prélude de choral op. 122 n°5 « Schmücke dich, o liebe Seele » de Brahms, composé plus de 80 ans plus tard. Plus significatif cependant est la valeur qu’elle accordait à l’imitation d’une ligne vocale au piano, une préoccupation rare à l’époque et d’une importance fondamentale pour les compositeurs des générations suivantes, notamment Chopin. Dans ce moule, son Étude n°110 est clairement un nocturne, dans son type, sinon dans son nom, et est directement contemporaine de ceux de John Field à qui l’on attribue souvent l’invention de cette forme.

Alors, comment une musique de cette qualité et offrant une telle perspective peut-elle avoir été complètement oubliée pendant si longtemps ? Le profil public de Montgeroult a toujours été très en retard sur sa réputation auprès des connaisseurs. D’abord cantonnée aux salons privés, elle n’a jamais embrassé une carrière d’interprète publique, même après la Révolution. Bien que son poste au Conservatoire lui ait offert une tribune, elle l’a quitté au bout de quelques années, semble-t-il pour des raisons de santé. Son biographe, le musicologue français Jérôme Dorival, suggère que la vraie raison était un sentiment d’incompatibilité artistique avec l’institution. Malgré le fait que sa propre méthode de piano, le Cours complet, était bien avancée, le conservatoire a choisi un collègue masculin de talent moindre, Jean-Louis Adam, fut choisi pour la rédaction du cours de piano officiel du Conservatoire.

Le Cours complet de Montgeroult, publié en 1816, en trois volumes, est une œuvre d’une grande connaissance, de profondeur et de vision artistique. Beaucoup plus coûteuse que les méthodes de piano comparables, sa musique était de plus considérée comme trop exigeante dans la France d’alors, davantage intéressée par l’Opéra-Comique. Montgeroult a commencé à composer des études à l’intention de son élève, Johann Baptist Cramer, qui avait également composé sa propre méthode de piano. Les deux ont travaillé en étroite collaboration pendant un certain temps et plusieurs études de Cramer contiennent des passages étonnamment similaires à ceux de Montgeroult. Bien que ses compositions ne fassent pas preuve de la même maitrise totale des formes musicales et de la subtilité harmonique que celle de Montgeroult, elles sont beaucoup plus populaires. Il n’existe que 24 exemplaires du Cours complet dans les bibliothèques du monde entier, mais on trouve en revanche 100 fois plus d’exemplaires conservés du Studio per il pianoforte de Cramer.

Les idées d’alors sur ce que pourrait être une femme compositrice voire son existence même ont également entravé la réception de la musique de Montgeroult. La plupart des comptes rendus de l’époque font l’éloge de son interprétation, de son talent d’improvisatrice et de son enseignement, mais négligent ses réalisations en tant que compositrice. Il semble qu’après sa mort, son fils unique, Horace His de la Salle, ne se soit pas donné la peine de conserver des archives de ses manuscrits et de ses lettres, peut-être parce qu’il n’en comprenait pas toute la portée artistique.

La plupart des compositeurs de la génération de Montgeroult ne s’attendaient pas à ce que leur musique leur survive. Aujourd’hui, nous sous-estimons la mesure dans laquelle la musique, même celle de compositeurs bien établis, est tombée dans l’obscurité après leur mort. Nous devons notre familiarité avec de nombreux noms connus aux efforts des musicologues de la fin du 19e siècle. Vivaldi, par exemple, était pratiquement inconnu jusqu’à sa redécouverte dans les années 1930. Bien entendu, pour être relancé, un compositeur doit être considéré comme digne d’attention. Peu de compositrices atteignent un tel statut, surtout si elles mènent une vie aussi privée que Montgeroult et laissé à la postérité aussi peu de traces matérielles. Ce n’est que dans les années 1990 que la valeur de Montgeroult a été véritablement appréciée par Jérôme Dorival, qui est depuis resté un défenseur dévoué et infatigable de son œuvre.

En tant qu’interprète, je suis parfaitement consciente des défis que représente la renaissance de la musique de compositeurs oubliés. En particulier, l’absence d’une tradition d’interprétation rend beaucoup plus difficile le développement d’une interprétation complète et nuancée de son œuvre. Lorsque j’entreprends par exemple une pièce de Beethoven, je me suis déjà familiarisée avec son style et j’ai entendu d’innombrables musiciens interpréter sa musique. Comme il y a encore très peu de gens qui jouent Montgeroult, nous faisons face à un manque de contexte où puiser. N’étant pas familière avec le style de Montgeroult, ce n’est qu’après une année d’étude intensive que j’ai trouvé une approche de la sonorité et de l’équilibre qui me convenait. Il m’a fallu du temps pour marier la souplesse de son toucher avec les nuances harmoniques et l’expression exacerbée que nous associons à une époque plus tardive. La subtilité de certaines des études les plus simples masque une profondeur d’expression et de perception qui ne se manifeste que plus tard. En tant qu’auditeur, il est également important de vivre avec cette musique pendant un certain temps pour en apprécier vraiment la valeur.

Découvrir la musique des études de Montgeroult alors qu’elles sont encore si peu connues, leur donner vie par le biais de mon instrument, puis les interpréter devant un public a été une expérience passionnante et souvent très émouvante. J’espère qu’elles atteindront la renommée et la popularité qu’elles méritent, et que ce disque fera découvrir à un public plus large l’étonnante musique d’Hélène de Montgeroult.

© Clare Hammond 2022

Je tiens à remercier Jérôme Dorival, dont les recherches approfondies sont à la base de ces notes sont basées, pour m’avoir fait découvrir l’œuvre de Montgeroult en 2019, et pour son généreux soutien et ses conseils prodigués par la suite. »


Marcia Hadjimarkos sortira vers le mois de mai un CD sur pianoforte consacré à Montgeroult, en compagnie de la mezzo-soprano Beth Taylor et du violoniste Nicolas Mazzoleni. C’est le premier CD réalisé sur un instrument d’époque, un pianoforte français de Neuhaus datant de 1817, merveilleusement restauré par monsieur Vion. Cet instrument possède des couleurs très belles et profondes, et les musiciens font des merveilles

Concerts 2022

Le nombre des concerts public dans lesquels on joue de la musique de Montgeroult explose cette année, et j’en ai déjà recensé 47, enAllemagne, Angleterre, Israël, France, États-Unis, Pays-Bas, Espagne et Brésil !

Vidéos disponibles

Documentaires
Les documentaires sur Montgeroult commencent à être nombreux :

– Florence Badol-Bertrand Hélène de Montgeroult, pianiste, compositrice et pédagogue https://www.youtube.com/watch?v=Z_vCr6Totw0&ab_channel=ConservatoireNationalSup%C3%A9rieurdeMusiqueetdeDansedeParis
– Dominique Guerrero : entretien avec Jérôme Dorival https://www.youtube.com/watch?v=CKSwvnYY29Y&ab_channel=DominiqueGuerrero
– Edna Stern https://www.youtube.com/watch?v=TFQI40wKO0Y&ab_channel=PhilharmoniedeParis
et  https://www.youtube.com/watch?v=BdLYAO1uSow&ab_channel=EdnaStern
et https://www.youtube.com/watch?v=mI9XEiho0jo&ab_channel=EdnaStern
et https://www.youtube.com/watch?v=rW3n9MLDGEE&ab_channel=EdnaStern
et https://www.youtube.com/watch?v=PoJX38waS_w&ab_channel=EdnaStern
– Claire Laplace https://www.youtube.com/watch?v=eb_9Cn1S5_M&ab_channel=CNSMDdeLyon
– Srta Corchea https://www.youtube.com/watch?v=jb2wd6WvUWQ&ab_channel=Srta.Corchea
– Anne Morvan https://www.youtube.com/watch?v=AjZ28p8eeIM&ab_channel=M%C3%A9diath%C3%A8queConservatoireLyon
– Sophie Boyer et Patricia Gil (avec les Nocturnes vocaux, de 26’38’’ à 41’55’’) https://www.youtube.com/watch?v=h9v9ob0o07c&ab_channel=VlogartMP4

https://youtu.be/xh1clrImjVU (Interview de Jérôme Dorival)
– Aliette de Laleu https://www.youtube.com/watch?v=PgRO5aRXhfY&ab_channel=FranceMusique
– Florence Berthout reçoit Fabrice Guédy qui présente « La Marquise et La Marseillaise » https://www.youtube.com/watch?v=kuE0rxSzGbQ&ab_channel=RADIORCJ

Livre et partitions

Mon nouveau livre sur Hélène de Montgeroult est en cours d’édition chez Symétrie. Je viens de signer le contrat. Il sera assez gros (plus de 500 pages !) et assez fouillé sur la plan historique (cette période, tellement complexe, m’a demandé des années de recherche) et musical (beaucoup d’analyses et d’exemples).
Je suis également en train de finaliser l’intégrale des partitions des sonates pour piano et celle des trois fantaisies, aux éditions Modulation.

14 novembre 2022