Nos chants savent tout peindre !

Nos chants savent tout peindre !
Hélène de Montgeroult
André Chénier
par
Bénédicte Harlé
Pianoforte Clementi 1800
Thierry Vorger

Récitant
En première partie, à partir de 15h00, Jérôme Dorival présente son
nouveau livre : Hélène de Montgeroult, le génie d’une compositrice,
en dialogue avec Marie Demeilliez, maîtresse de conférences en
musicologie à l’Université Grenoble Alpes et membre junior de
l’Institut Universitaire de France.
Château de Montgeroult, le 18 mai 2025

7 thermidor An I, … An II

Le 7 thermidor de l’an I (25 juillet 1793), la marquise et le marquis de Montgeroult sont arrêtés violemment par les
autrichiens lors d’une mission diplomatique. Le marquis mourra ensuite, dans les geôles de Mantoue, le 2 septembre. Hélène finira par rejoindre Paris, mais sa vie a basculé. Un an plus tard exactement, le 7 thermidor de l’an II (25 juillet 1794), André Chénier est guillotiné à Paris.


Hélène est née à Lyon, le 2 mars 1764, dans une famille de petite et récente noblesse (les de Nervo). Elle passe l’essentiel de sa jeunesse à Paris. A 19 ans, elle épouse le marquis de Montgeroult, qui en a 47 ; il est propriétaire du Château de Montgeroult, dans le salon duquel nous nous trouvons en ce moment.


André Chénier est né à Constantinople le 30 octobre 1762, d’une mère grecque, et d’un père commerçant français, qui deviendra diplomate. De retour en France, il passe sa prime jeunesse à Carcassonne avant d’intégrer, à Paris, le collège de Navarre.

Pressons le pas, jusqu’au seuil de la Révolution. En 1789, Hélène de Montgeroult a 25 ans. Elle fréquente les « salons » littéraires et musicaux les plus en vue de la capitale où elle ravit les oreilles raffinées de l’auditoire par sa maitrise du pianoforte.

André Chénier à 27 ans. Il se consacre à la poésie. Passionné de littérature ancienne,
notamment grecque, il cherche à importer en français les accents lyriques, et les rythmes variés, de cette dernière.

Lui aussi fréquente les salons littéraires, malgré sa condition modeste (et son physique peu avantageux). Il y déclame ses vers d’une voix chaude, qui plait.
Se sont-ils rencontrés ? Se connaissaient-ils ? Aucune trace n’en atteste mais il est presque inévitable que leurs pas, avant leurs destins, ne se soient croisés, tant leurs cercles de fréquentations étaient proches dans le Paris de la fin du XVIIIème siècle.

Un monde quelque peu privilégié et ouvert aux idées nouvelles, aussi bien politiquement
qu’artistiquement. Mêmes salons, mêmes cénacles idéologiques.
Lever de rideau sur la Révolution. Ils sont « du même bord », celui des modérés prônant l’avènement d’une monarchie constitutionnelle.

Les Montgeroult se rendent, par exemple, au club des Feuillants auquel appartient
également André Chénier, devenu journaliste.


20-21 juin 1791 : fuite de Louis XVI et « Varennes ». La Révolution bascule progressivement dans la guerre et vers
l’horreur de la Terreur. Les Montgeroult sont à Londres une bonne partie de 1792.

En avril 1793, revenus en France, depuis quelques mois, ils partent pour la mission diplomatique qui causera leur arrestation brutale et la mort du marquis, l’épisode le plus traumatique de la vie d’Hélène.
André, lui, participe activement à la défense de Louis XVI (guillotiné le 21 janvier 1793). Ses prises de position lui valent de plus en plus d’inimitié dans les cercles révolutionnaires extrémistes qui ont pris le pouvoir. Il a l’occasion de fuir en Angleterre, mais s’y refuse. Hélène également est inquiétée. Sauvée, dit-on, par son talent, elle est « priée » par un décret du Comité de Salut Public conquis par ses improvisations sur la Marseillaise, de prêter sa main musicale à l’organisation des fêtes révolutionnaires.
Finalement emprisonné, André est, lui, jugé et condamné à mort au cours d’un procès à l’occasion duquel Fouquier-Tinville, plagiant Cofinhal lors du procès de Lavoisier, éructe un « la République n’a pas besoin de poètes ! ».

Sa tête roule le 25 juillet 1794, … deux jours avant la chute de Robespierre et la fin de la Terreur. Jusqu’à la dernière minute, il écrit. En prison, il écrit. Il trace dans la fièvre, des vers poignants de liberté à la fois formelle et d’inspiration, d’un humanisme vibrant, parvenus à nous par miracle.


Se sont-ils donc connus ? Ont-ils suivi et déplorés leurs destins réciproques ? Se sont-ils inspirés l’un l’autre, d’une quelconque manière, par leurs musiques intérieures ? Peut-être vaut-il mieux un beau mensonge qu’une vérité décevante alors, disons que oui, peut-être. Ils ont, de fait, vécu si proches, fut-ce sans le savoir, qu’ils n’ont pu que s’imprégner des mêmes éthers.


Aujourd’hui, dans ce salon qui résonnait déjà de la musique d’Hélène il y aura bientôt deux siècles et demi, imaginons-la au pianoforte, André debout près d’elle, déclamant ses vers, leurs regards complices se croisant, pleins de joie de vivre, d’espoirs, de peine, de gravité, de révolte, de retenue, d’humanité.


En ont-ils eu conscience ? Leurs œuvres qui toutes deux bondissaient sur le passé pour mieux attraper l’avenir, ont ouvert avec prémonition l’ère romantique, déjà fécondée dans le ventre de l’histoire.

Vous retrouverez la plupart des études d’Hélène de Montgeroult jouées cet après-midi, et beaucoup d’autres, dans le CD « Le salon d’Hélène de Montgeroult » de Bénédicte Harlé aux éditions Modulation (en vente après le concert).


Aux études d’Hélène de Montgeroult, nous avons ajouté une sonate de son contemporain Hyacinthe Jadin, si proche de ton avec les poèmes de jeunesse d’André Chénier, et un air de l’opéra Andrea Chenier d’Umberto Giordano, directement inspiré des poèmes La belle captive et comme un dernier rayon.


Bénédicte Harlé, pianiste, se consacre en particulier, depuis 1996, à la pratique du répertoire du lied, de la mélodie et de l’opéra, à travers son activité de chef de chant au CNSM de Paris. Elle se consacre avec une égale passion à la musique de chambre et se produit en France, en Suisse, en Allemagne et au Japon dans des formations instrumentales variées ainsi qu’en duo chant-piano. Également familière du monde de la musique ancienne, elle découvre avec grand intérêt la vie et l’œuvre d’Hélène de Montgeroult, grâce aux travaux du musicologue Jérôme Dorival et propose également régulièrement des concerts et récitals consacrés à l’œuvre de cette compositrice, à
laquelle elle a consacré un enregistrement « Le Salon d’Hélène de Montgeroult », aux éditions Modulation.


Thierry Vorgers collabore avec Bénédicte Harlé à l’occasion d’un spectacle concert & poésie consacré à Hélène de Montgeroult et André Chénier, présenté à plusieurs reprises en 2018 et 2019, à Mongeroult, Fresnes, l’abbaye de Royaumont, ainsi qu’au spectacle « Mille baisers de Honfleur » consacré à Erik Satie et Alphonse Allais, avec Bénédicte Harlé, Philippa Neuteboom, Fabrice Berjot et Jacques Sallès.

Lexique

La langue d’André Chénier est résolument moderne, … à son époque. Son lexique contient cependant à l’occasion des mots ou références devenues rares aujourd’hui, ou qui résonnent avec son histoire personnelle. En voici quelques exemples, pris dans les textes ci-dessus, par ordre d’apparition.


Camille : Muse (une des…) d’André Chénier, sous un nom d’emprunt. Il lui a consacré tout un recueil.
Philomèle : Nom allégorique de l’hirondelle.
Pampre : feuillage de la vigne.
Tibulle : Poète romain élégiaque du premier siècle av. notre ère, inventeur, avec Virgile et Horace de la poésie champêtre.
Javelle : Brassée de céréales, coupées et non liées, qu’on laisse sur le sillon avant de les mettre en gerbe.
Rome : André Chénier a fait un séjour en Italie dans ses jeunes années d’adulte, dont on sait peu de choses.
Byzance, (Constantinople), aujourd’hui Istanbul, est la ville natale d’André Chénier. Il a voulu y retourner mais a dû rebrousser chemin pour raisons de santé.
Alcyon : Oiseau fabuleux qui, d’après une légende grecque, devait sa naissance à la métamorphose d’Alcyone. Il était dédié à la Néréide Thétis.
Néréides : Nymphes marines de la mythologie grecque, filles de Nérée et de Doris.
Thétis : Une des Néréides. Quand elle pleure, ses sœurs apparaissent.
Hymen : Mariage.
Palès : Divinité romaine champêtre, protectrice des bergers.
Faix : Fardeau, poids.
Pénates : Divinités domestiques romaines.
Mânes : Âmes des morts chez les romains.
Ambrosie (ou ambroisie) : Substance divine de la mythologie grecque, nourriture délicieuse des dieux qui leur assure, avec le nectar, leur immortalité.
Bavus : On ignore qui André Chénier a voulu désigner précisément par ce nom, qui ne rappelle aucun personnage antique réel ou mythique, sinon que, vu les circonstances, il s’agit sans doute d’une allégorie des chefs de la Terreur qui l’ont envoyé à l’échafaud, la vilaine sonorité du mot étant choisie à dessein.

Pour mieux soutenir nos actions, rejoignez l’association Les Amis d’Hélène de
Montgeroult. Des bulletins d’adhésion sont disponibles à la sortie.

Les amis d’Hélène de Montgeroult remercient le Parc Naturel Régional du Vexin Français et les communes de Montgeroult et Boissy L’Aillerie pour leur soutien constant.

Deux concerts exceptionnels au château de Montgeroult les 19 et 26 mai 2019

Venez découvrir, par des interprètes de renom, le raffinement de la musique du Grand Siècle et des Lumières.

Vous avez manqué le concert ? Lisez les chroniques de Jérôme Dorival, musicologue :

Airs de cour au château de Montgeroult

Concert du 19 mai

Monique Zanetti, chanteuse, et Claire Antonini, au luth et au théorbe, ont fait découvrir au public du château de Montgeroult, ce dimanche 19 mai 2019, quelques perles tirées de l’air de cour. Ce genre, né à la fin du XVIème siècle, s’est parfaitement épanoui au cours du XVIIème, depuis Henri IV jusqu’à la jeunesse du roi Louis XIV, en passant bien sûr par Louis XIII. Ces œuvres étaient donc particulièrement à leur place dans le grand salon du château, leur décor naturel (si on peut dire), qui leur permettait de se déployer superbement dans ce lieu si favorable acoustiquement.
Beaucoup d’émotion dans ces chants destinés plus à l’intimité qu’à la scène, dans lesquels l’alliance de la musique et de la poésie se révèle subtile et prenante. L’imaginaire est simple et l’amoureux décline sous toutes les formes possibles les tourments d’amour que lui cause sa belle. Mais il le fait avec un art du « bien dire » que souligne la finesse des accents et des rimes, que les compositeurs en ont été inspirés et ont su si bien su traduire en rythmes et en chants.
Les meilleurs compositeurs d’airs de cour étaient convoqués au château, avec Antoine Boësset, dont les œuvres étaient toujours chantées et éditées cinquante ans après sa mort, avec Gabriel Bataille, Sébastien Le Camus et Michel Lambert, dernier et magnifique représentant du genre.
Les interludes de luth et de théorbe (diverses pièces de Robert Ballard, Dufault, Gaultier, Gallot) nous ont plongé, grâce à Claire Antonini, dans des rêveries délicieuses telles qu’elles sont décrites avec tant d’esprit dans ce vieux texte d’époque :

« Quand un brave joueur en prend un [luth], et pour taster les chordes et les accords, se met sur un bout de table à rechercher une fantaisie, il n’a si tost donné trois pinçades et entamé l’air d’un fredon, qu’il attire les yeux et les aureilles de tout le monde ; s’il veut faire mourir les chordes sous ses doigts, il transporte tous les gens et les charme d’une gaye mélancholie, si que l’un laissant tomber son menton sur sa poitrine, l’autre sur sa main ; qui laschement s’étand tout de son long comme tiré par l’aureille ; l’autre a les yeux tout ouverts ou la bouche entrouverte, comme s’il avait cloué son esprit sur les chordes, vous diriez que tous sont privés de sentiment, hormis l’oüye, comme si l’âme ayant abandonné tous les sens, se fut retirée au bord des aureilles pour jouir plus à son aise de si puissante harmonie, mais si changeant son jeu, il ressuscite ses chordes, aussi tost il remet en vie tous les assistants et leur remettant le cœur au ventre et l’âme es sentiment, ramène tout le monde avec estonnement et fait ce qu’il veut des hommes. » (François René, Essai des merveilles de nature, 1629).

Le plaisir d’apercevoir les prairies par les fenêtres du salon semblait comme un signe envoyé par ces poèmes, où il n’est question que des charmes de la campagne, lieu destiné par essence au plaisir de l’amour : du moins nos poètes (Claude de l’Étoile, François de Malherbe et quelques anonymes) faisaient-ils mine de le croire, et le public, ravi, semblait tout disposé à les suivre.

Jérôme Dorival, Juin 2019


Bach, Zwei Clavier nebst Pedal

Concert du 26 mai

Le 26 mai à 16h, dans le salon du château de Montgeroult Jean-Luc Hô jouait un grand clavicorde de pédale ( 2X8’+ 1X16’ , jeux dissociables) surmonté de deux claviers (liés) dont la morphologie acoustique suggère  Hauptweck et  Brustwerck des orgues saxonnes. 

On sait que le clavicorde avait une place singulière chez les Bach, clavier à usage pédagogique il était célébré pour son cantabile mais aussi considéré comme un censeur rigoureux pour la technique de clavier. Carl Philippe Emmanuel disait en substance : « celui qui sait toucher le clavicorde saura jouer tous les autres claviers, le contraire n’est pas vrai ». L’inventaire de Jean Sébastien comporte la mention zwei clavier nebst pedal, précisément le genre d’instrument dont Jean-Luc s’est emparé. Sur cet instrument on travaillait la musique d’orgue à la maison bien au chaud, on improvisait, on éprouvait les nouvelles pistes : les sonates en trios et la grande passacaille, par exemple. 

Le concert a débuté par le choral Vater unser im Himmelreich ( BWV 636) qui d’entrée nous fait gravir les marches de l’introspection spirituelle et permet d’entrer dans le son du clavicorde.

La Fantaisie Chromatique et fugue qui suivent, d’un genre bien différent, nous projettent dans un flamboiement acoustique moiré, ponctué d’accents orageux (pédale), des cascades de glissandi colorés dans un jet qui semble improvisé. Ce genre foisonnant correspond parfaitement au style phantasticus. Jean-Luc s’est ensuite engagé avec conviction dans le contrepoint de la fugue nous laissant nous ébrouer les oreilles au sortir de ce feu d’artifice.

La suite Française en sol majeur, révèle d’autres qualités du jeu de Jean-Luc au clavicorde, entre poésie et danse, vigueur rythmique nonchalance rappelant parfois le clavecin et souvent le luth dans un discours maîtrisé mais libre.

La fameuse Chaconne de Bach pour violon transcrite pour le clavier nous laisse pantois, comme emportés dans un mouvement de tourbillon, mélange d’arabesques, de volutes sur un thème  obsédant, le clavicorde n’était alors plus un instrument de musique mais un vecteur acoustique qui transfigure le discours. Pour la fin du concert, Jean-Luc a joué la Dorienne (Toccata et Fugue en ré). C’est à ce moment que nos oreilles ayant pris la véritable dimension de l’instrument sont prêtes à entendre sonner les grandes orgues, on s’y croit tant la densité du jeu et l’immersion au cœur du discours musical du grand maitre est intense. Tourbillons et mouvements de vis ascendants, descendants sont si intense dans la toccata que nous sommes tout ébouriffés, néanmoins prêts à affronter les grandes architectures de la fugue. Les contrepoints sévères nous révèlent alors une dimension spatiale, des perspectives étonnantes auxquelles nous avons été préparés.

Ces concerts dans le salon du château sont de véritables moments de bonheur, la fenêtre sur le parc nous permet de reprendre pieds dans un univers plus pastoral après ces instants de lévitation :que du bonheur !