Deux concerts exceptionnels au château de Montgeroult les 19 et 26 mai 2019

Venez découvrir, par des interprètes de renom, le raffinement de la musique du Grand Siècle et des Lumières.

Vous avez manqué le concert ? Lisez les chroniques de Jérôme Dorival, musicologue :

Airs de cour au château de Montgeroult

Concert du 19 mai

Monique Zanetti, chanteuse, et Claire Antonini, au luth et au théorbe, ont fait découvrir au public du château de Montgeroult, ce dimanche 19 mai 2019, quelques perles tirées de l’air de cour. Ce genre, né à la fin du XVIème siècle, s’est parfaitement épanoui au cours du XVIIème, depuis Henri IV jusqu’à la jeunesse du roi Louis XIV, en passant bien sûr par Louis XIII. Ces œuvres étaient donc particulièrement à leur place dans le grand salon du château, leur décor naturel (si on peut dire), qui leur permettait de se déployer superbement dans ce lieu si favorable acoustiquement.
Beaucoup d’émotion dans ces chants destinés plus à l’intimité qu’à la scène, dans lesquels l’alliance de la musique et de la poésie se révèle subtile et prenante. L’imaginaire est simple et l’amoureux décline sous toutes les formes possibles les tourments d’amour que lui cause sa belle. Mais il le fait avec un art du « bien dire » que souligne la finesse des accents et des rimes, que les compositeurs en ont été inspirés et ont su si bien su traduire en rythmes et en chants.
Les meilleurs compositeurs d’airs de cour étaient convoqués au château, avec Antoine Boësset, dont les œuvres étaient toujours chantées et éditées cinquante ans après sa mort, avec Gabriel Bataille, Sébastien Le Camus et Michel Lambert, dernier et magnifique représentant du genre.
Les interludes de luth et de théorbe (diverses pièces de Robert Ballard, Dufault, Gaultier, Gallot) nous ont plongé, grâce à Claire Antonini, dans des rêveries délicieuses telles qu’elles sont décrites avec tant d’esprit dans ce vieux texte d’époque :

« Quand un brave joueur en prend un [luth], et pour taster les chordes et les accords, se met sur un bout de table à rechercher une fantaisie, il n’a si tost donné trois pinçades et entamé l’air d’un fredon, qu’il attire les yeux et les aureilles de tout le monde ; s’il veut faire mourir les chordes sous ses doigts, il transporte tous les gens et les charme d’une gaye mélancholie, si que l’un laissant tomber son menton sur sa poitrine, l’autre sur sa main ; qui laschement s’étand tout de son long comme tiré par l’aureille ; l’autre a les yeux tout ouverts ou la bouche entrouverte, comme s’il avait cloué son esprit sur les chordes, vous diriez que tous sont privés de sentiment, hormis l’oüye, comme si l’âme ayant abandonné tous les sens, se fut retirée au bord des aureilles pour jouir plus à son aise de si puissante harmonie, mais si changeant son jeu, il ressuscite ses chordes, aussi tost il remet en vie tous les assistants et leur remettant le cœur au ventre et l’âme es sentiment, ramène tout le monde avec estonnement et fait ce qu’il veut des hommes. » (François René, Essai des merveilles de nature, 1629).

Le plaisir d’apercevoir les prairies par les fenêtres du salon semblait comme un signe envoyé par ces poèmes, où il n’est question que des charmes de la campagne, lieu destiné par essence au plaisir de l’amour : du moins nos poètes (Claude de l’Étoile, François de Malherbe et quelques anonymes) faisaient-ils mine de le croire, et le public, ravi, semblait tout disposé à les suivre.

Jérôme Dorival, Juin 2019


Bach, Zwei Clavier nebst Pedal

Concert du 26 mai

Le 26 mai à 16h, dans le salon du château de Montgeroult Jean-Luc Hô jouait un grand clavicorde de pédale ( 2X8’+ 1X16’ , jeux dissociables) surmonté de deux claviers (liés) dont la morphologie acoustique suggère  Hauptweck et  Brustwerck des orgues saxonnes. 

On sait que le clavicorde avait une place singulière chez les Bach, clavier à usage pédagogique il était célébré pour son cantabile mais aussi considéré comme un censeur rigoureux pour la technique de clavier. Carl Philippe Emmanuel disait en substance : « celui qui sait toucher le clavicorde saura jouer tous les autres claviers, le contraire n’est pas vrai ». L’inventaire de Jean Sébastien comporte la mention zwei clavier nebst pedal, précisément le genre d’instrument dont Jean-Luc s’est emparé. Sur cet instrument on travaillait la musique d’orgue à la maison bien au chaud, on improvisait, on éprouvait les nouvelles pistes : les sonates en trios et la grande passacaille, par exemple. 

Le concert a débuté par le choral Vater unser im Himmelreich ( BWV 636) qui d’entrée nous fait gravir les marches de l’introspection spirituelle et permet d’entrer dans le son du clavicorde.

La Fantaisie Chromatique et fugue qui suivent, d’un genre bien différent, nous projettent dans un flamboiement acoustique moiré, ponctué d’accents orageux (pédale), des cascades de glissandi colorés dans un jet qui semble improvisé. Ce genre foisonnant correspond parfaitement au style phantasticus. Jean-Luc s’est ensuite engagé avec conviction dans le contrepoint de la fugue nous laissant nous ébrouer les oreilles au sortir de ce feu d’artifice.

La suite Française en sol majeur, révèle d’autres qualités du jeu de Jean-Luc au clavicorde, entre poésie et danse, vigueur rythmique nonchalance rappelant parfois le clavecin et souvent le luth dans un discours maîtrisé mais libre.

La fameuse Chaconne de Bach pour violon transcrite pour le clavier nous laisse pantois, comme emportés dans un mouvement de tourbillon, mélange d’arabesques, de volutes sur un thème  obsédant, le clavicorde n’était alors plus un instrument de musique mais un vecteur acoustique qui transfigure le discours. Pour la fin du concert, Jean-Luc a joué la Dorienne (Toccata et Fugue en ré). C’est à ce moment que nos oreilles ayant pris la véritable dimension de l’instrument sont prêtes à entendre sonner les grandes orgues, on s’y croit tant la densité du jeu et l’immersion au cœur du discours musical du grand maitre est intense. Tourbillons et mouvements de vis ascendants, descendants sont si intense dans la toccata que nous sommes tout ébouriffés, néanmoins prêts à affronter les grandes architectures de la fugue. Les contrepoints sévères nous révèlent alors une dimension spatiale, des perspectives étonnantes auxquelles nous avons été préparés.

Ces concerts dans le salon du château sont de véritables moments de bonheur, la fenêtre sur le parc nous permet de reprendre pieds dans un univers plus pastoral après ces instants de lévitation :que du bonheur !